*BASED ON TRUE STORIES | Dipesh & Biplav, Népal.

En plein confinement,
la série qui se tourne vers les autres.

Ces témoignages auront un format un peu inédit dans cette série. Plutôt que les interviews habituelles, ici Biplav et Dipesh s’expriment librement.

Depuis chez lui, Biplav prend le temps de s’adresser à nous au travers d’un témoignage écrit qui détaille la situation générale du pays. Il nous parle d’un Népal où le gouvernement est dépassé, où les citoyens sont effrayés et se sentent livrés à eux-mêmes, totalement dans l’inconnu. Il nous parle aussi d’une police aux méthodes et punitions plutôt radicales, ainsi que de gens apeurés qui ne savent où aller, dans ce petit pays coincés entre les deux géants que sont la Chine et l’Inde, subissant tout à tour la pandémie.

Dipesh s’adresse à nous par écrit mais aussi en vidéo. Il a cette façon bien à lui de « prendre la vie comme elle vient » et de vivre au jour en essayant de profiter de ce qu’il a, là, au moment présent. Il s’attarde sur ces népalais touchés tous les jours par un problème qui lui aussi cause des morts, la pauvreté : tous ces gens connaissant des situations déjà trop précaires pour avoir le luxe de s’effrayer.

Ce que tu trouveras dans cet article :
Les témoignages de Dipesh & Biplav, qui nous emmènent le temps d’un article dans leur pays, le Népal.
→ La façon dont nous les avons rencontrés.

Les liens vers les autres témoignages de la série « *Based on true stories », lorsque chaque jour ou presque ceux-ci paraîtront :
> Pavel, Russie | Asanka, Sri Lanka | Tseegii & Zaya, Mongolie | Geoffrey, Japon | Yana & Maxime, Corée du Sud


« Si on sort sans raison particulière on se fait botter le cul par la police avec des bâtons. Mais bon, c’est comme ça. Tu sais, dans un pays comme le Népal les gens ne s’effraient pas facilement. Ils sont pauvres et ont d’autres problèmes. Ils peinent déjà à satisfaire des besoins élémentaires tous les jours de l’année. »

Là où
tout a commencé.

Dipesh a été notre (belle) introduction au Népal. Il nous a hébergés pour nos premiers jours dans le pays. On se souvient de nos premiers instants de galère là-bas, perdus au milieu d’une nuée de klaxons, de tuk-tuks multicolores, de bus sortis d’un autre monde qui roulent à toute vitesse, vitres et portes ouvertes. Dipesh nous avait donné son adresse par WhatsApp et nous avait vite plongés dans le bain des « nepali vibes » comme il dit : « Je vous préviens, ici les bus n’ont pas de numéro et n’indiquent pas leur destination ! Ce sont les gens suspendus à la portière avant qui crient où ils vont. Quand ils ralentissent, essayez de les attraper et de leur montrer mon message ! Bienvenue au Népal ! ».

On avait finalement réussi à rejoindre sa maison dans un quartier aux rues de poussière où les petites constructions à rooftops s’entassaient, loin des rues touristiques. Il nous avait accueillis avec son grand sourire comme s’il nous connaissait déjà. Dans la cuisine, le riz venait d’être cuit et nous avions mangé notre premier dal bhat (le plat inconique du pays) : « Je me suis dit que vous auriez faim ». Le lendemain, depuis son rooftop qui comptait comme seuls aménagements un tapis de yoga et une guitare, on avait étendu notre linge sous le soleil et, au-dessus du nuage de poussière, on avait aperçu les sommets de l’Himalaya. Il est dur de résumer en quelques mots ce que nous avons vécu avec Dipesh. Il est devenu un véritable ami et nos cœurs s’étaient serrés lorsque nous l’avions revu, pour la dernière fois, avant de quitter le pays. Aujourd’hui encore nous sommes très régulièrement en contact.

Local népalais qui nous acceuille

Plusieurs semaines plus tard, nous avions croisé la route de Biplav alors que nous nous apprêtions à réaliser le plus gros trek de notre vie : le Base Camp de l’Annapurna, à 4 130 mètres d’altitude. Nous l’avions plus que croisé, puisque nous sommes finalement restés plus d’une semaine chez lui, logés au-dessus de son grand bar de trance music au cœur du quartier hippie-touristique de cette petite ville connue des trekkers. A la fin on avait l’impression de faire partie de la famille, à faire des soirées autour du feu, à parler longuement autour d’une bière, à jouer avec Faye son chat ou à donner de longues caresses à Chester, son chien, tous les matins. On se souvient particulièrement la dernière nuit où Biplav avait pris du temps pour rester avec nous. Il s’était assis sur un de nos matelas et jusqu’à ce que la lune apparaisse à la fenêtre, on avait parlé montagne et il nous avait donné ses conseils pour aller nos mesurer aux pentes de l’Himalaya.

rencontre avec Biplav habitant du Népal

Tu es bien installé.e ?
On te laisse maintenant avec Dipesh et Biplav.

→ Biplav :

« Salut vous deux.
Tout d’abord, merci pour votre initiative et l’intérêt que vous montrez à collecter des informations à propos de toutes ces populations dans le monde. Cela nous donne à tous l’opportunité de partager nos pensées, ressentis, avec vous mais aussi avec les autres.

Pour nous au Népal, tout était normal jusqu’à la première semaine de janvier. Puis la Chine, un de nos plus proches voisins, a subit de plein fouet le coronavirus. Nous étions perdus, confus, un peu effrayés : nous ne savions pas ce qui nous attendait, comment ça allait se passer… Nous ne savions pas quoi faire.

Le premier cas a été reporté le 24 janvier. Il s’agissait d’un étudiant qui retournait chez lui pour les vacances et qui venait de… Wuhan, en Chine. On a appris qu’il avait constaté l’apparition de symptômes légers depuis le 5 janvier. Quelques semaines plus tard, il était rétabli mais dès lors la question était : combien a-t-il contaminé de personnes sans même qu’elles ne le sachent encore, sur toute cette période ? Après une immense pression des familles, le gouvernement népalais a rapatrié plus de 200 étudiants de l’épicentre de la pandémie, Wuhan. Ils ont été gardés en isolement pendant 20 jours et ont été renvoyés chez eux après que les tests aient indiqué qu’ils étaient négatifs.

Il y a eu de la panique, de la paranoïa et beaucoup de confusion parmi la population ici, alors que le gouvernement lui paraissait dépassé par la situation et ne prenait aucune décision ferme. On se posait tous cette même question : “Qu’est-ce qu’on fait, maintenant” ? De manière générale, la population a commencé à stocker des denrées, ce qui a créé des pénuries pendant un moment, jusqu’à ce que le gouvernement intervienne et prenne enfin quelques décisions : le stockage a été interdit et puni par des amendes. Cependant, le problème majeur n’était toujours pas réglé : nous avions beaucoup de faiblesses et de manques en ce qui concernait le domaine du soin et de la santé, qui serait le seul à éventuellement pouvoir sauver des vies au pire moment de la crise, on le savait. Nous faisions tous face à l’inconnu quand à comment les choses allaient se dérouler.

passage dans la ville de Kathmandou
Ville Népal

Pendant le mois de février, la plupart des gens ayant des résidences secondaires hors de Kathmandu, notre capitale, commencèrent à partir. Tout le monde s’est dit que si l’épidémie devait démarrer, elle le ferait d’ici : depuis la ville où est implanté le seul aéroport international qui était toujours en service.

C’est en mars que le second cas a été déclaré. Avec lui, le niveau de panique et paranoïa n’a fait qu’augmenter. Et c’est à ce moment-là que soudainement, le gouvernement a annoncé sans délais le confinement du pays : plein de gens se sont retrouvés bloqués partout, les touristes qui voyageaient au Népal inclus. Nous sommes désormais au 27e jour de confinement et la majeure partie des touristes ont été rapatriés dans leur pays avec l’aide de leur ambassade. Quelques uns d’entre eux, en particulier ceux habitant en Italie, en Espagne et en France, ont décidé de rester ici.

J’ai moi-même quitté la capitale au moment où tout le monde l’a quittée, au tout début de l’épidémie. La situation était bien meilleure ici, dans mon village, puisque il n’y avait pas autant de monde et donc pas de pénurie liée au stockage. Mais après, la situation s’est inversée : les gens qui avaient fui la capitale pour aller dans les villages du sud ont brusquement fait machine arrière. Pourquoi ? L’Inde. L’Inde avec qui nous partageons toute notre frontière sud s’est mise elle aussi à subir la pandémie. Plein de cas se sont déclarés, multipliés, ce qui a provoqué d’important flux de personnes à la frontière : des népalais réfugiés ou vivant là-bas se sont mis à vouloir fuir ce pays pour rentrer au Népal. En temps normal, nous avons une frontière ouverte avec l’Inde, nous pouvons donc nous déplacer librement d’un pays à l’autre et beaucoup de népalais travaillent là-bas. Mais plus maintenant : maintenant le gouvernement empêche des citoyens népalais de revenir d’Inde parce qu’il n’a pas les moyens nécessaires de gérer plus de population pendant la quarantaine. Ils ont fermé la frontière, tout un tas de gens y sont bloqués.

Les forces armées tentent de gérer la population bloquée aux frontières.
Certains sont ici depuis plusieurs jours, attendant de pouvoir rentrer.

A présent nous avons 42 cas. 4 ont guéris, 38 sont toujours soignés. La plupart sont des gens venant d’Inde ou d’Europe. Certains tentent toujours de quitter la capitale pour rejoindre des zones plus reculées, marchant des centaines de kilomètres à pieds pour retrouver leur maison, car les transports publics ne fonctionnent plus.

Mais ces gens fuient aussi un autre problème : à Kathmandu, il y a trop de monde. La population ne reçoit aucune denrée et beaucoup n’ont pas les moyens de s’en acheter. Rentrer dans les campagnes reste la meilleure solution. Dans certains autres cas, c’est aussi simplement des irresponsables et inconscients qui veulent juste rentrer chez eux parce qu’ils en on marre d’être enfermés à la capitale. Beaucoup d’arrestations ont lieu. Lorsque la police arrête les gens elle utilise des bâtons et grandes pinces. Ils sont ensuite enfermés.

Côté économique, la situation est critique. De gros chantiers sont prévus (hydroélectricité, aéroports…) et nécessiteront beaucoup de main d’oeuvre, créeront de l’emploi. Nous comptons sur ça pour améliorer la situation des gens ici. L’agriculture quand à elle ne s’est jamais arrêtée et l’industrie du thé, qui a été la première à se développer, emploie toujours plus d’un quart de million de personnes et contribue à l’économie du pays. Le ministère des Finances a donné des conseils importants aux banques, qui elles ne s’inquiètent pas beaucoup de la rentabilité puisque le gouvernement leur accordera des avantages : elles devraient aider à rétablir les entreprises et les industries, ce qui est essentiel pour minimiser le risque de perte d’emplois. Nous ne pouvons qu’attendre et regarder comment la mise en œuvre de ces mesures se déroule… et rester positifs.

Evidemment, beaucoup de choses ont changé, pour moi et pour tous. Être propriétaire d’un bar n’est pas évident en cette période mais ce n’est pas le moment de se plaindre. Il faut plutôt faire avec, vivre malgré tout et être fort. Nous verrons ensuite ce que nous pourrons faire une fois que tous ensemble nous aurons vaincu cette pandémie. »

Biplav nous a fait parvenir ces vidéos aériennes de deux grandes villes du Népal pendant le confinement :

Confinement – Vues aériennes de la capitale du Népal, Kathmandu
Confinement – Vues aériennes de Pokhara

→ Dipesh

« Le gouvernement a déclaré le confinement depuis un mois environ. Si vous voyiez la ville maintenant, vous trouveriez ça fou ! C’est tellement calme, pas de pollution*, pas de gens dans les rues… Autour de chez moi, quelques petits commerces sont restés ouverts, de quoi subvenir à nos besoins de tous les jours… Curry et dal bhat power, tu sais bien !

Si on sort sans raison particulière on se fait botter le cul par la police avec des bâtons. Mais bon, c’est comme ça. Tu sais, dans un pays comme le Népal les gens ne s’effraient pas facilement. Ils sont pauvres et ont d’autres problèmes. Ils peinent déjà à satisfaire des besoins élémentaires tous les jours de l’année. »

locaux au Népal dans Kathmandu
ville de kathmandu

On te laisse avec cette petite vidéo.

C’est le genre de petits rayons de soleil que nous adorons découvrir sur nos téléphones depuis que nous avons fait ces rencontres. Celle-ci est bien représentative de l’état d’esprit de Dipesh et complète le témoignage qu’il nous avait adressé par écrit. Elle est en anglais mais pas d’inquiétude, si cette langue n’est pas vraiment ton amie, voici un petit résumé ainsi qu’un extrait :

Dipesh nous y explique qu’il vit la situation au jour le jour, insiste sur l’importance de l’instant présent et nous dit qu’il essaie surtout de profiter de ses deux enfants et de sa femme (elle est américaine et devra repartir avec ses enfants d’ici demain) :

« Demain ma femme et mes enfants repartiront en Amérique. En juin je vais essayer de les rejoindre mais en attendant… J’essaie vraiment de vivre le moment. Tout va bien pour nous. Tout est si silencieux, regarde les rues… Aucun enfant qui joue autour, aucun rassemblement… Il fait beau… La vie continue. Je joue de la guitare, m’occupe des enfants, on mange, on cuisine… Je fais mon yoga, mes exercices… Le temps continue ! Bon dites-moi comment vous allez, comment vous vous sentez, je veux vous voir en vidéo aussi. Prenez soin de vous les gars. Je vous aime. »


Ecouter, apprendre, partager, relativiser.
S’évader.

Ces témoignages appartiennent à Biplav & Dipesh et à eux seul, ils ne sauraient être jugés. Pour chaque personne dans le monde et pour chaque pays la situation est différente. Il ne s’agit pas ici d’imposer des idées mais de partager des opinions, des réalités et des façons de penser.

Dans une période où nous nous retrouvons tous face à nous-même cette série est faite pour s’ouvrir aux autres : écouter, apprendre, partager, relativiser… et s’ouvrir l’esprit. Finalement, faire ce dont le voyage nous offre l’opportunité : s’évader tout en s’enrichissant les uns des autres.


Et la suite ?

La suite se passe en Chine, en Corée du Sud, au Japon, au Sri Lanka, en Mongolie, au Vietnam, en Russie. Chaque jour ou presque, un nouveau témoignage paraîtra ici, sur « *Based on true stories« .

En attendant demain, tu peux t’évader avec les autres histoires que nous avons à te raconter.

N’hésite pas à nous partager tes ressentis, ta propre situation, tes pensées, tes questions en commentaire de cet article. Nous répondons toujours, et nous pouvons même poser tes questions à Biplav et Dipesh.

5/5 - (3 votes)

Laisser un commentaire

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici